Cover Songs In Inferno de don & françoiz
Par Emmanuel Dosda
Esprit, es-tu là ?
Avec Cover Songs In Inferno, Françoiz Breut et Don Nino convoquent l’esprit frappeur et frappé de Black Sabbath, Felt, des Cramps, de Shocking Blue, Bonnie Dobson, Bonnie “Prince” Billie, Donovan, Jefferson Airplane ou des Kinks. Un premier disque conçu à quatre mains, exclusivement composé de reprises (dont Oh My Son écrite par… Don Nino) qui marque, dans les sillons du vinyle ou la mémoire vive du numérique, deux décennies d’amitié, de voyages (une tournée commune, en 2002, les mena jusqu’en Andalousie) et de complicité artistique.
Un album tout en anglais, un disque occulte ? Bientôt culte ! Dix covers anglo-saxonnes qui dans l’obscurité résonnent… Le duo d’enfer Françoiz Breut & Nicolas Laureau – alias Don Nino – se connaissent depuis pas mal de temps déjà, mais le magicien du son et sa sorcière bien-aimée n’avaient jamais coréalisé un album ensemble. Dix titres choisis et chantés dans la langue des tragédies shakespeariennes par Françoiz Breut, un disque ensorcelant – entièrement joué et produit par Don Nino – inspiré par le contexte insensé actuel, motivé par l’envie d’enrayer l’avancée de la sinistrose généralisée grâce à quelques coups de baguette (de batterie) magique et une louchée de bave de crap’ode à la vie.
Salsa du démon
L’idée a germé dans la tête de Nicolas en 2020, durant le premier épisode de la période « absurdo-covidesque » traversée en France comme en Belgique où Françoiz vit : « Un beau jour ensoleillé d’avril, Nicolas m’a appelé pour donner de ses nouvelles et voir si j’étais toujours vivante en ce début de pandémie [rires]. Il m’a proposé de choisir des morceaux qui me tenaient particulièrement à cœur et a commencé à travailler de son côté. » La sélection s’est faite selon ses envies de conter certaines histoires, des péripéties extraites d’un répertoire d’oldies telles que White Rabbit, Season of the Witch ou Morning Dew. « Étrangement, je me suis instinctivement orientée vers des morceaux plutôt anciens, des classiques maintes et maintes fois repris et que j’avais récemment commencé à apprendre à la guitare acoustique, pour le plaisir de les jouer. » Les sujets sont variés : « Il y a des chansons sociales comme celle de Bonnie “Prince” Billie qui parle du Sud des États-Unis et de la violence des rapports humains. Les Kinks évoquent un soi-disant paradis sur terre des middle class et de leurs petites vies confortables, bien rangées dans leurs pavillons de banlieue ! Il y a des titres davantage contemplatifs se situant après ou pendant l’apocalypse… » On croise quelques fantômes, les survivants d’une catastrophe nucléaire ou même le sautillant lapin blanc d’Alice aux Pays des Merveilles.
Tirer le diable par le kraut
La playlist établie, les choses se mettent en place, petit à petit, d’abord à distance, puis chez Nicolas à Pantin et enfin en Normandie où ce dernier a enregistré plusieurs disques. « Généralement, je commence par la section rythmique avec une beatbox augmentée d’une batterie et une partie guitare ou basse. Ensuite, tout le reste en découle naturellement, les arrangements et détails s’étoffent lors des sessions. Françoiz me donnait régulièrement son avis sur les versions, l’âme des covers. » Musicalement, Nicolas reste en terres connues (pour ceux qui suivent son déroutant parcours) : il utilise d’antiques claviers donnant un aspect krautrock à l’ensemble, sa fameuse batterie japonaise Akiko et ses toms vintage qui retentissent ainsi que bon nombre de guitares électriques de tous types. Peur bleue, frissons d’angoisse, sueurs froides, mais aussi exotisme grandguignolo-crampesque, psychédélisme toxicomane et insouciance adolescente se mêlent. La magie (noire) opère entre don & françoiz. L’auditeur tombe sous le charme tentateur d’une démoniaque coopération.
don & françoiz, les questions
don, tu apprécies l’exercice de la réappropriation de titres de tes “mentors” (Leonard Cohen, Cure, Gainsbourg…). Ta version de Bela Lugosi’s Dead de Bauhaus aurait d’ailleurs pu se trouver une onzième place sur Cover Songs in Inferno…
don : Ce qui m’intéresse dans la reprise est souvent l’idée de décalage, mais aussi de l’émotion première, lorsqu’on retrouve singulièrement la première sensation. Et puis, parfois, une reprise est l’occasion de (re)découvrir un excellent morceau.
Tu t’es permis quelques libertés, notamment en ajoutant un riff de sitar sur Morning Dew…
don : J’ai voulu donner un côté Velvet Underground à cette reprise et le sitar s’y inscrivait assez naturellement.
don & françoiz, j’imagine que vous aviez de nombreuses références picturales ou graphiques en tête : je pense au Sabbat des sorcières de Goya…
don : Avec du recul, ce sont les champs lexicaux des chansons qui nous ont donné envie d’orienter l’aspect visuel. Françoiz avait peint plusieurs illustrations des morceaux en rapport avec l’enfer… qui s’assemblent parfaitement pour la pochette.
françoiz : Je désirais, au départ, illustrer chaque titre : en général ça me permet d’entrer plus facilement dans leur univers et de me les approprier… Dæmon Lover m’a d’abord le plus inspirée : j’ai donc exploré la figure du diable. Mes références sont essentiellement flamandes avec ces peintres qui ont souvent “exploré” l’enfer : Huys, Bosch, Brueghel le Jeune…
Pas de Diable (ça va) de Brel, ni aucun autre morceau francophone sur ce disque…
françoiz : Nos références communes sont anglo-saxonnes, mais un jour je rêve de chanter dans toutes les langues comme nos bons vieux chanteurs de variété française qui reprenaient leurs propres morceaux en japonais ou italien. On dit souvent que je fais de la chanson française, mais ça m’ennuie un peu car je ne veux pas être réduite à cela, même si je l’aime bien, cette musique chantée en français…
Qui incarne le plus la figure du diable aujourd’hui ?
don : Je remarque que les gens se plaignent de leur situation en disant « C’est l’enfer » ! Ce doit être ici-bas, alors ? Quant au diable, tentateur, j’espère que c’est une figure plus complexe que ce que l’on imagine.
françoiz : Les dictateurs, les patrons de multinationales, ceux qui ont de longues dents qui rayent le parquet…
Qui est votre sorcière bien-aimée ?
don : Françoiz, bien sûr !
françoiz : Je préfère l’image de la magicienne, la guérisseuse, la femme libre : j’ai autour de moi des amies qui font des miracles, possèdent des savoirs et aident les autres.
Don Nino, la bio
Depuis le début des années 1990, Nicolas Laureau (né en 1973, vit en région parisienne) agit dans le monde de la musique indépendante, notamment grâce à son label, Prohibited Records (Mendelson, Herman Dune, The Berg Sans Nipple…), créé en 1995. L’activité artistique de Nicolas oscille entre projets personnels sous le pseudo Don Nino – huit albums sous forme de mille-feuilles émotionnels, dont Mentors Menteurs ! (2007), disque de reprises où il dévoile ses sources) – et aventures collaboratives au sein de Prohibition, puis NLF3, toujours avec son frère, Fabrice. Le trio est auteur de huit albums de rock instrumental dont Music for Que Viva Mexico! (2006), BO réinventée et jouée live sur le film d’Eisenstein lors de ciné-concerts à travers le monde. Nicolas Laureau participe régulièrement à des créations audiovisuelles, plastiques ou chorégraphiques, aux côtés du vidéaste Pierrick Sorin ou du danseur Yves Musard. Son dernier album solo ? A Beautiful Cloud (Prohibited Records, 2021). En 2022, Nicolas a sorti l’ovniesque Scaring The Mice For Revenge (Prohibited Records) en compagnie de Shane Aspegren, Jérôme Lorichon et Quentin Rollet, ressuscitant le jazz spirituel et teinté d’hindouisme de Pharoah Sanders ou d’Alice Coltrane.
Françoiz Breut, la bio
Illustratrice (qui signe la pochette de Cover Songs In Inferno) et chanteuse, Françoiz Breut posait sa voix pour la première fois en 1993, sur le second album de Dominique A, et sortait son premier disque (sobrement éponyme) en 1997. Trois ans plus tard, Françoiz, avec sa silhouette minuscule, s’entoure de nombreux artistes pour la création du remarquable Vingt à trente mille jours, enregistré et mixé par Fabrice Laureau, frère (d’armes) de Nicolas. La chirurgienne des sentiments (référence au titre de son album réalisé par Nicolas en 2012) et scruteuse des mœurs contemporaines n’a rien perdu de sa colère, sa curiosité et son appétit. Flux Flou de la Foule, le dernier chapitre de sa déjà riche carrière est né, en 2021, du désir d’épancher sa soif d’expériences musicales inédites. La fructueuse collaboration Neneh Cherry / Four Tet dans la ligne de mire, Françoiz fait confiance à ses fidèles collaborateurs et électroniciens Roméo Poirier et Marc Melià qui font rimer électronique et organique. Flux Flou de la Foule, c’est Sea, sex & sun sur la plage d’Ostende, Je t’aime… moi non plus dans les friches industrielles de Charleroi et Hiroshima mon amour sur la rade de Cherbourg. Un fou rire traversant un champ de bataille, instant de jouissance avant le déluge. Une love affair nucléaire. Son dernier ouvrage, conte musical illustré par Françoiz : Grand déménagement (Le Label dans la forêt, 2022) avec Mathieu Pierloot, Claire Vailler et Mocke.
Cover Songs In Inferno de don & françoiz
Planet Caravan (Black Sabbath) – 4:02
My Face Is On Fire (Felt) – 3:17
Oh My Son (Don Nino) – 4:06
Kizmiaz (The Cramps) – 4:33
Daemon Lover (Shocking Blue) – 4:28
Morning Dew (Bonnie Dobson) – 5:18
Southside Of The World (Bonnie “Prince” Billy) – 2:51
Season Of The Witch (Donovan) – 4:17
Shangri-La (The Kinks) – 6:10
White Rabbit (Jefferson Airplane) – 2:48
Credits
Vocals, song selection and artwork by Françoiz Breut
All instruments and backing vocals on 7 by Don Nino
Recorded and produced by Don Nino in Pantin, at Salon de Musique(s)
And in Lyons-la-Forêt, at Studio des Taisnières, France
Mixed by Don Nino & Fabrice Laureau
Mastered by JJ Golden at Golden mastering, USA. (Calexico, Devendra Banhart, Vetiver …)
Thank you ♥
PR International : Dense — ed @ dense.de
PR France : Marc Chonier — marc.chonier @ gmail.com